Immigration

L’Occident pourrait accueillir 1 million de réfugiés syriens, affirme un expert

Au lieu de pleurer les migrants qui périssent dans la Méditerranée ou en route vers la frontière américaine, le Canada, les États-Unis et l’Europe auraient plutôt intérêt à ouvrir leurs portes. « Il y a un effort collectif à faire. Le Nord global pourrait accueillir 1 million de réfugiés syriens en trois ans. »

Ce point de vue est celui de François Crépeau, professeur de droit à l’Université McGill et rapporteur spécial pour les Nations unies sur les droits des migrants.

Le nombre vous semble excessif ? François Crépeau rappelle que le Canada a déjà accueilli 200 000 réfugiés de l’Indochine à la fin des années 70. « On ne le regrette pas ! Aujourd’hui, ce sont des citoyens exemplaires qui contribuent de manière extraordinaire à notre société », ajoute-t-il.

C’est vrai pour les Vietnamiens qui sont venus il y a 35 ans, mais aussi pour les Hongrois, les Arméniens, les Chiliens, les Tchèques et bien d’autres, note-t-il. 

« Les migrants sont des survivants. Ils ont une résilience extraordinaire », dit François Crépeau.

« L’arrivée des migrants crée des emplois, plusieurs deviennent des entrepreneurs et leurs enfants sont plus éduqués que ceux de la société d’accueil. »

— François Crépeau, rapporteur spécial pour les Nations unies sur les droits des migrants

Ces jours-ci, la Turquie, le Liban et la Jordanie doivent à eux seuls gérer l’écrasante majorité des réfugiés syriens. Alors que 3 millions d’entre eux ont déjà fui leur pays en guerre, le Canada n’en a accueilli qu’un millier, affirme l’expert du droit international, un exemple du désengagement occidental.

LE RETRAIT DES PAYS RICHES

Les chiffres des Nations unies le confirment. À la fin de l’année 2013, 51,2 millions de personnes vivaient loin de leur foyer, déplacées dans leur propre pays ou à l’étranger, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies. Plus de 85 % d’entre eux sont accueillis par des pays émergents.

Un nouveau rapport du HCR, paru hier, démontre que seulement 330 700 personnes ont réussi à demander l’asile dans un pays industrialisé depuis le début de cette année, une hausse de 24 % par rapport à l’année dernière, mais un bien petit nombre par rapport au flux migratoire sans cesse grandissant. Les Syriens sont les principaux demandeurs, suivis des Irakiens, des Afghans et des Érythréens. De ce nombre, le Canada a reçu tout juste 5800 demandes, écrit le HCR dans son rapport de mi-année.

La basse proportion reçue dans l’Ouest est liée en partie à la difficulté de faire une demande d’asile. Les demandeurs doivent soit faire partie d’un programme de rétablissement supervisé par les Nations unies à partir d’un camp de réfugiés, soit se rendre à leurs risques et périls dans un pays d’accueil.

Depuis le début de l’année seulement, au moins 2900 personnes sont mortes noyées dans la Méditerranée. La situation n’est pas plus reluisante à la frontière américano-mexicaine. Selon une récente enquête de la chaîne américaine Fusion, près de 80 % des femmes et des enfants qui tentent le voyage à partir de l’Amérique centrale sont victimes d’agressions sexuelles.

LÉGALISER, LA SEULE VOIE

François Crépeau croit que les pays occidentaux doivent revoir leur approche. « On peut faire beaucoup mieux et on a besoin de leadership politique. Si on ne fait rien, le phénomène va nous être imposé de toute manière. Les gens vont continuer à se déplacer et à fuir la guerre, l’instabilité politique, la violence et la pauvreté », note le rapporteur spécial, qui sillonne la planète depuis 2011 pour rendre compte des défis en matière de droits de la personne auxquels les migrants font face. Dans le cadre de son mandat, il s’intéresse aux réfugiés, mais aussi aux migrants économiques à la recherche d’une meilleure vie.

Il note que pour faire face à la vague de migrants, les pays industrialisés ont choisi la voie sécuritaire. Les États-Unis dépensent des milliards pour surveiller sa frontière avec le Mexique et pour expulser les migrants sans documents ; l’Europe patrouille dans la Méditerranée à la recherche de réfugiés en danger et fait la chasse aux passeurs ; le Canada met systématiquement en détention les demandeurs d’asile qui arrivent par la mer.

« Les États disent que les passeurs sont le problème. Mais ces derniers existent parce qu’il n’y a pas de voies légales pour traverser la Méditerranée. C’est comme pendant la prohibition. On faisait la chasse aux contrebandiers et ça n’a rien donné. À la fin, on a fini par légaliser l’alcool, en encadrer la vente et le taxer. Avec la migration, c’est un peu la même chose. Plus on met des murs, plus ça devient difficile de les contourner, plus les mafias deviennent puissantes », explique le rapporteur spécial.

La solution n’est, selon lui, pas très compliquée. « Il faut accueillir plus de réfugiés et ouvrir des canaux d’immigration légale, plaide-t-il. Après la guerre, dans les années 50, il y avait beaucoup de migrants et personne ne mourait dans la Méditerranée. »

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